Pourquoi les autorités politiques n’agissent pas face à l’urgence climatique qui menace gravement nos sociétés? Nous réalisons une série d’interview pour comprendre la position d’acteurs-trices locaux sur cette thématique. Premier entretien avec Xavier Company, coprésident des Vert-e-s lausannois-e-s, conseiller communal et candidat déclaré à la municipalité de Lausanne.

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XR: 11 000 scientifiques de 153 pays ont averti que la crise climatique induira « des souffrances humaines indescriptibles » si nous n’agissons pas. Partagez-vous l’idée que la survie de nos sociétés est en jeu au cours de ces prochaines années?

La crise climatique fait déjà sentir ses effets et quoi que nous fassions elle induit déjà et induira des souffrances importantes (sur le vivant comme sur l’environnement), des mouvements d’immigration toujours plus grands et un déséquilibre Nord-Sud exacerbé. Nous avons encore la possibilité de freiner et de diminuer ces impacts et ces souffrances si nous agissons de manière forte, déterminée et immédiate. C’est une des raisons pour lesquelles nous avons exigé, à Lausanne, que le plan climat communal soit rendu à la fin de l’année 2020 et non à la fin de l’année 2021. L’urgence est là. En ce sens oui, je rejoins l’idée que la survie de nos sociétés, telles que nous les connaissons en tout cas, est en jeu ces prochaines années.

Extinction Rebellion utilise la désobéissance civile pour appeler les autorités et la population à agir. De nombreuses personnalités du monde scientifique, et plus largement, appuient cette démarche face à l’urgence. Quelle est votre position sur le sujet?

La désobéissance civile a, de tout temps, permis de mettre en exergue des problèmes qu’une partie de la société refusait de voir et en ce sens elle est parfois indispensable, comme en l’espèce pour le réchauffement climatique. Elle représente l’action citoyenne qui doit se faire en complémentarité à l’action politique. Elle doit toutefois être effectuée avec proportionnalité entre le but de l’action (alerter la population sur le réchauffement climatique et le monde politique sur l’urgence à agir) et les infractions commises, comme nous demandons aux interventions policières de s’effectuer dans la proportionnalité.

Extinction Rebellion demande que les autorités politiques déclarent l’urgence climatique. Où en est Lausanne?

Le Conseil communal de Lausanne, sur proposition des Vert•e•s, a déclaré l’urgence climatique le 5 novembre 2019. C’est donc le législatif de la Ville qui l’a déclaré et en ce sens il me semble que l’urgence a été entendue et prononcée par la Ville de Lausanne. C’est maintenant sur les mesures que nous devons agir pour atteindre l’objectif de neutralité carbone ambitieux annoncé par la Municipalité pour 2030.

Quels sont pour vous les axes les plus importants pour décarboniser notre économie et notre société et atteindre la neutralité carbone ?

Au niveau de la politique lausannoise en tout cas il y en a quatre principaux à mon sens :

  • l’arrêt d’investissements dans les énergies fossiles, notamment avec les deniers publics et la caisse de pension de la Ville de Lausanne
  • la mobilité, réduire drastiquement les transports individuels motorisés pour privilégier la mobilité douce (vélos, piétons et transports publics)
  • l’impact énergétique des bâtiments, qui doit être amélioré tant au niveau de l’efficacité énergétique (isolation) que de la production d’énergie renouvelable
  • l’agriculture et l’alimentation : la consommation de viande doit être fortement réduite et nous devons nous tourner vers une agriculture durable et de proximité

Extinction Rebellion a régulièrement manifesté devant le conseil communal pour demander une ville vivante où les habitant-e-s puissent circuler librement sans voiture. Partagez-vous cette demande?

Très clairement. Le centre-ville sans voiture paraît en tout cas indispensable (tout en laissant l’accès aux services d’urgence et aux personnes incapables de se déplacer autrement, de même qu’à l’approvisionnement). Cette mesure est indispensable non seulement pour lutter contre le réchauffement climatique mais aussi pour la qualité de vie des Lausannoises et Lausannois en terme de pollution et de bruit. Mais cette mesure doit être compensée par une meilleure accessibilité de la ville par la mobilité douce et les transports publics.

Compte tenu de la lenteur des processus politiques, que pensez-vous de l’instauration d’assemblées citoyennes en charge de traiter la question climatique ?

J’ai foi dans le processus démocratique et politique actuel. Surtout au niveau communal, la représentativité de la population me semble importante et permet au contraire un gain d’efficience et de temps… même si des mesures pour accélérer le processus doivent toujours être prises. Une assemblée citoyenne refléterait à mon sens les mêmes divergences, mais serait bien plus longue et complexe à gérer. De plus, traiter uniquement de la question climatique en aparté me paraît infaisable puisqu’elle est intimement liée aux autres questions sociétales et ne saurait être traitée seule si nous voulons que les résultats soient efficaces et acceptés par tout-e-s.

Si vous êtes élu municipal, que proposerez-vous comme mesures contre le réchauffement climatique ?

Tout dépendra du dicastère que je pourrais avoir l’opportunité de gérer et dans tous les cas je ferai mon possible pour peser sur la politique municipale en faveur d’une réduction rapide de notre impact carbone. Pour reprendre les éléments mentionnés ci-dessus, cinq axes permettent à mon sens d’avoir un impact beaucoup plus fort sur le réchauffement climatique, soit notamment :

  • la mobilité: limiter au maximum les transports individuels motorisés en ville par des interdictions ou de limitations strictes de circulation; privilégier les autres modes de transport en leur aménageant l’espace nécessaire pour leur permettre d’être sûrs et efficaces (déplacement piéton, vélo et transports publics); améliorer la distribution entre habitat et lieux d’activité pour limiter les déplacements, notamment dans les nouveaux quartiers;
  • l’aménagement du territoire densification intelligente préservant ou améliorant les espaces verts, la biodiversité et maximisant les dépenses d’énergie; déminéralisation du sol autant que possible pour laisser la nature reprendre sa place; exigence d’une double ou triple compensation d’arbres en cas d’abattages et favorisation générale de la reforestation ou des plantations d’arbres sur le territoire communal; limitation de l’espace dédié aux transports individuels motorisés au strict nécessaire pour favoriser les autres modes de transport et création de quartiers durables et sans voitures;
  • l’énergie économie d’énergie au niveau des bâtiments (isolation, maximiser l’efficacité énergétique, etc); production d’énergie renouvelable, dans la lignée de la politique des SIL à l’heure actuelle, mais aussi par une incitation forte à la production privée; favoriser et encourager les entreprises luttant contre le réchauffement climatique ou minimisant leur impact, et agir sur les autres pour qu’elles atteignent des objectifs en termes de durabilité et de réduction de leur consommation d’énergie;
  • l’économie orienter les investissements de la Ville de Lausanne (et surtout tenter d’orienter ceux de la Caisse de pension de la Ville de Lausanne) vers des investissements durables; mener une politique d’achats toujours plus durable, privilégiant les matériaux non polluants, d’une durée de vie supérieure et en les conservant le plus longtemps possible; favoriser les projets de la Ville menant à la neutralité carbone; favoriser les circuits courts, les échanges, et l’utilisation de monnaie locale;
  • agriculture et alimentation : continuer la politique municipale pour la reconversion au bio et le respect de l’environnement dans les domaines qu’elle maîtrise; privilégier l’alimentation végétarienne, locale et de saison dans toute la restauration collective (scolaire notamment) et dans les événements en Ville de Lausanne, par devoir d’exemplarité; inciter la population à réfléchir à son alimentation et à l’impact qu’elle a sur l’environnement et le réchauffement climatique. Dans d’autres domaines, l’impact sera peut-être moins direct ou moins efficace, mais tout aussi important, notamment en terme d’exemplarité. Notamment dans le sport, la mise en avant d’événements durables, zéro déchets, avec de la nourriture végétarienne ou végétalienne et en respect de l’environnement est indispensable (comme nous l’avons demandé pour les JOJ sans que cela ne soit suivi dans sa totalité); ou dans le domaine de la propreté urbaine en facilitant la revalorisation des objets plutôt que leur destruction ou leur recyclage, et en augmentant les points de collecte et de recyclage.